Les dures réalités de l'extrémisme islamique dont l'on commence à prendre conscience depuis l'attentat du 11 septembre contre les tours du World Trade Center nous forcent à contempler les rapports entre la chrétienté et l'islam sous un angle plus global. Il convient également de cerner les foyers de tension entre populations musulmanes et chrétiennes et de repérer ceux dans lesquels le militantisme islamiste extrémiste constitue un facteur de déstabilisation.
Une rivalité séculaire
La rivalité entre l'islam et la chrétienté n'est pas nouvelle. St-Paul propagea le message d'amour du christianisme et cette religion finit par devenir religion d'état dans l'Empire romain. Depuis, politique et religion n'ont fait qu'un dans le monde chrétien pendant plusieurs siècles. Quant à l'islam, il s'est imposé d'emblée par la force, mettant fin au règne des Byzantins au Moyen Orient et à une Afrique du Nord partiellement christianisée. Les peuples conquis avaient alors le choix entre l'épée ou la conversion. Durant plusieurs siècles, chrétienté et islam s'affrontèrent sur plusieurs fronts. L'Espagne fut l'un d'entre eux : Après sept siècles d'occupation musulmane, elle tomba aux mains des chrétiens en 1492 et ces derniers finirent par en chasser les Maures. Les Croisades durèrent près de deux siècles, soit de 1095 à 1291 et les Croisés durent se replier de la Terre Sainte après les victoires de Saladin. Pour sa part, l'Empire Ottoman se lança à l'assaut de l'Europe sud-orientale : En 1453, Constantinople tomba aux mains des Ottomans et Vienne fut assiégée par eux en 1529. Toutefois, après un dernier assaut Ottoman contre Vienne en 1683, l'Empire ottoman commença par céder du terrain. Les Russes avancèrent alors et finirent par atteindre la Mer Noire et le Caucase.
La Renaissance allait lancer l'Europe sur la voie du progrès culturel et technologique. La majorité des pays arabes passèrent sous contrôle ottoman et, pour la plupart, sombrèrent dans une longue léthargie. Le contact avec l'Occident fut souvent marqué par d'âpres négociations de rançons de captifs chrétiens avec les pirates de la Méditerranée. Au XIXe siècle, avec l'avènement des forces coloniales françaises, britanniques et italiennes, les pays arabes se virent confrontés à la supériorité technologique de l'Occident. Le ressentiment contre l'occupation coloniale, l'envie de rattraper l'Occident et la confrontation à la réalité du modèle occidental de séparation de l'église et de l'état, et à celle des valeurs laïques par rapport aux valeurs religieuses allaient engendrer tout un bouleversement dans ces pays dans lesquels la foi se veut absolutiste. La décolonisation fut l'occasion de se confronter à la vie moderne et cette transition ne se fit pas sans heurts.
Les foyers de guerre à la périphérie de l'islam
Cette analyse ne serait pas complète si l'on ne tenait pas compte des différents foyers de guerre à la périphérie de l'islam de par le monde de nos jours, mettant en cause musulmans et non musulmans. Les luttes d'influence dans le monde musulman sont la source d'interventions de régimes puissants : la Turquie laïcisée, l'Arabie saoudite qui finance l'érection de milliers de mosquées de par le monde, le Pakistan qui veut avoir son mot à dire en Afghanistan et ailleurs, l'Iran qui veut exporter sa révolution islamique et l'Indonésie qui constitue le plus important des pays musulmans. Dans plus d'un cas, des conflits sont alimentés par trois facteurs majeurs : l'argent d'Arabie saoudite, les armes et les conseillers de l'Iran de même que les anciens combattants de l'Afghanistan.
En Asie :
La guerre des Moujahiddine afghans contre l'occupation russe de l'Afghanistan se solda par une victoire sans précédent contre une superpuissance. Cette victoire fut obtenue grâce à la ferveur des islamistes, les fonds saoudiens et la technologie américaine. Les États Unis étaient alors fort heureux de bloquer l'Union soviétique qui était le rival à contrer à tout prix pendant la guerre froide. L'Afghanistan fut par la suite abandonné à son sort. Livrés à eux-mêmes, les combattants afghans endurcis allaient se retrouver dans différents points chauds de la planète.
Dans les anciennes républiques communistes soviétiques d'Asie Centrale, la compétition d'influence est féroce entre la Turquie dont l'affinité avec les populations est grande, l'Arabie Saoudite et l'Iran dont le régime soutient l'islamisme chiite différent de l'islamisme saoudien wahhabite. Les islamistes du Tadjikistan se sont livrés à une guerre sanguinaire contre les partisans de Moscou.
Au Proche-Orient, le conflit israélo-arabe a donné lieu à quatre guerres majeures. La guerre civile au Liban a opposé musulmans et chrétiens. Durant les cinq dernières décennies, l'Inde et le Cachemire se sont livrés à trois guerres. Au Bengladesh, les Bouddhistes se plaignent de discrimination de la part de la majorité musulmane.
Il y eut de nombreuses émeutes de musulmans contre les Chinois dans la Malaisie et l'Indonésie à majorité musulmane, ce qui n'a pas été le cas en Thaïlande (pays à majorité bouddhiste) et aux Philippines (pays à majorité catholique) où les Chinois sont nombreux . Des groupes musulmans du Sud de la Thaïlande sont en révolte contre le gouvernement bouddhiste. Aux Philippines, ce sont les Moros musulmans qui luttent contre les Philippins catholiques dans ce pays. En Indonésie même, les Timoriens catholiques luttent contre le gouvernement musulman.
En Europe :
La Bosnie mit les musulmans contre les catholiques croates et les serbes orthodoxes. Les Croates étaient soutenus par l'Allemagne et les Serbes par la Russie. La couverture aérienne américaine permit de mettre fin aux atrocités qui s'y déroulaient et ce fut également l'occasion de faire appel aux ressources financières des saoudiens, aux conseillers iraniens et à d'autres groupuscules tels les Hezbollah.
Les musulmans de la Tchétchènie se révoltèrent contre la Russie en 1995 et furent écrasés dans un grand bain de sang. Dans le Caucase, Arméniens chrétiens et Azéris musulmans se sont livrés à des guerres jusqu'à épuisement.
En Afrique :
En Éthiopie, les Oromos musulmans sont en guerre contre les Amharis chrétiens et l'Éthiopie à majorité chrétienne est engagée dans une longue guerre contre l'Érythrée à majorité musulmane. Le gouvernement soudanais se livre à une guerre de génocide dans le Sud du Soudan chrétien et animiste. Au Nigeria, les tribus Fulani-Haussas musulmanes qui sont majoritaires dans le pays, sont en conflit avec les tribus chrétiennes du Sud. Par ailleurs, la tension est grande entre l'île de Zanzibar à majorité musulmane et la population de Tanzanie du continent.
Ce tableau serait incomplet si l'on ne précisait pas l'énorme ampleur des pertes en vies humaines dans ces guerres de religion depuis les deux dernières décennies : 50 000 à 200 000 en Bosnie, 50 000 en Croatie, 30 à 50 000 en Tchétchènie, 100 000 au Tadjikistan, 20 000 au Cachemire, 200 000 au Timor oriental, 100 000 au Liban et un demi million à 2 millions au Soudan.
Parmi les nombreux conflits inter musulmans des dernières décennies, la guerre irako-iranienne a fait près d'un million de morts. Le massacre des Kurdes d’Irak sous la présidence de Saddam Hussein fit près de 100 000 victimes kurdes. L'invasion du Koweït par l'Irak se solda par 50 000 morts. Les troupes jordaniennes tuèrent près de 20 000 Palestiniens quand l'OLP voulut y faire la loi. La répression du gouvernement syrien contre ses propres citoyens extrémistes à Hama a fait 25 000 morts. En Algérie, la guerre civile a fait plus de 150 000 morts et l'opposition du front islamique a recruté un nombre important d'anciens combattants de l'Afghanistan. Cette liste est loin d'être exhaustive…
Les alliés des Occidentaux
Les relations entre l'Occident et l'islam ne sont pas systématiquement antagonistes. Il existe de nombreux pays modérés qui entretiennent d'excellents contacts avec l'Occident. Mais il reste que des problèmes de surpopulation, d'absence de démocratie et le manque d'infrastructures pour donner espoir aux générations manquantes font qu'il se trouve beaucoup de frustrés qui ne voient aucun espoir d'avenir et qui versent dans l'extrémisme.
Il arrive même que des pays arabes se rallient à l'Occident. Ainsi, la guerre du Golfe rassembla une coalition qui incluait des pays arabes : Il faut préciser cependant que, en échange à leur ralliement à la coalition anti-irakienne, la dette extérieure de l'Égypte fut effacée et la Syrie se vit en mesure de continuer à contrôler le Liban. Quand Saddam Hussein fut acculé au pied du mur, il chercha à faire diversion en tentant de rallier d'autres à sa cause. Il lança des missiles contre Tel Aviv et de plus, alla jusqu'à identifier son régime jusque là fort séculier à la cause de l'islam. Mais il ne fut pas suivi. Après l'attentat contre le World Trade Center, une nouvelle coalition se forma. Le Pakistan jusque là protecteur des Talibans se rallia à l'Occident et les sanctions économiques qui avaient été imposées par les États Unis en raison du développement d'armes atomiques par ce pays furent levées. En outre, force est de constater que lorsque les dirigeants des pays arabes ont condamné les agissements de Bin Laden qui ne s'est pas gêné pour déclarer ouvertement la guerre sainte contre les chrétiens, ils l'ont fait du bout des lèvres seulement.
Les minorités juives et chrétiennes
Il faut mentionner que les problèmes existant à la périphérie de l'islam ne signifient pas qu'il n'en est point au sein même des pays pratiquant l'islam. Ainsi, dans beaucoup de pays arabes, bien des minorités religieuses ont disparu : Les Juifs qui durant plusieurs siècles durent vivre dans un état d'insécurité quasi-permanent et qui devaient se soumettre au statut humiliant de dhimmis quittèrent les pays arabes lorsque les puissances coloniales qui avaient aboli dans les faits ce statut réservé aux non-musulmans se retirèrent de ces mêmes pays. Suite à la guerre civile au Liban, des centaines de milliers de chrétiens libanais se sont exilés. Par ailleurs, des incidents sporadiques viennent montrer que le sort des chrétiens coptes en Égypte n'est pas des plus enviables.
Qui a dit que les guerres de religion étaient terminées ?
Il aura peut-être fallu que les fanatiques islamistes exportent leur action contre l'Amérique pour que l'on réalise qu'il existe un problème dont l'ampleur est inquiétante. Il va sans dire que les islamistes militants ont, chacun dans leur pays, des raisons différentes de se lancer dans le terrorisme. C'est la raison pour laquelle on pourrait avancer que les insatisfaits de tout bord se sentent libres de reprendre à leur compte avec grande facilité la lecture des textes islamiques selon une vision totalitaire afin de justifier leur action. La chrétienté a eu son mouvement de réforme protestant qui a relativisé certains des dogmes de l'église. Le judaïsme a eu également un mouvement de réforme qui a conservé essentiellement le message humanitaire de la Bible. Ces mouvements ont appris à coexister ensemble et non sans peine. Dans l'islam, un seul mouvement de réforme profonde a pris place en Turquie, mais il n'a pas fait tâche d'huile. Bien qu'il existe des courants dans l'islam, tout comme la division entre sunnites et chiites qui remonte aux discordes historiques relatives à la succession du Prophète, il n'y a pas dans les temps présents de pensée critique qui ne soit automatiquement traitée d'hérésie.
Le silence des élites intellectuelles, politiques, et économiques quant à la dérive actuelle de l'Islam a de quoi inquiéter. Dans de nombreuses dictatures et démocraties contrôlées des pays islamiques, la majorité modérée du monde islamique ne s'exprime pas ouvertement ou a peine à s'opposer au discours des extrémistes qui prétendent s'exprimer au nom de la foi absolue. Mais il n'en demeure pas moins que dans de nombreux pays islamiques, il existe une répression féroce des polices et services secrets contre les militants islamiques extrémistes et cet état de choses accentue encore plus l'absence de dialogue et le manque de confiance entre modérés et extrémistes. Le militantisme islamique est loin d'être éteint et il semble qu'il soit encore difficile pour beaucoup de populations musulmanes de séparer politique et religion. D'où la facilité relative de la manipulation et de la dérive des animosités envers des facteurs périphériques à l'islam. La différence entre musulmans de Dar el islam et les non musulmans de Dar el harb est parfois sous-jacente et parfois cause de sérieux conflits dont il est crucial d'en connaître les tenants et les aboutissants. Dans bien des cas, il semble que la cohabitation des religions soit à réinventer.
L’auteur est vice-président de la Communauté sépharade du Québec.