Institute for Public Affairs of Montreal |
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Les masques tombent Les enlèvements des deux journalistes français |
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Jean-Charles Chebat, Ph.D.,CQ, FRSC | 28 Septembre 2004 |
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Accueil de SM Abdallah II, Roi de Jordanie, par M. Jacques Chirac, président de la République (Elysée) le 28 Septembre 2004 Les enlèvements des deux journalistes français, Christian Chesnot et Georges Malbrunot a servi de puissant révélateur. Il a d’abord révélé l’ampleur et la profondeur des liens que le gouvernement français entretient avec le monde arabe, non seulement ses gouvernements les plus réactionnaires, mais ses groupes terroristes. En effet, pour sauver les deux journalistes, le gouvernement français a fait jouer tout son réseau, y compris des groupes terroristes les plus abjects, dont le Hezbollah, les Frères Musulmans et même le Hamas qui, dans la même semaine des enlèvements venait de perpétrer un double attentat contre des civils israéliens (voir par exemple, La Presse, article de Louis-Bernard Robitaille, A1, 1er Septembre). Peut-on reprocher à ce gouvernement d’aller jusqu’en enfer pour sauver ses citoyens? Certes pas, mais si c’est acceptable, alors quelques conséquences doivent être tirées. Première révélation :Si la France a de telles relations, pourquoi donc ne les a-t-elle pas utilisées pas pour sauver le journaliste Enzo Baldoni, ressortissant d’un pays ami, l’Italie, avec lequel la France a construit l’Europe moderne. Pourquoi ne les a-t-elle pas utilisées pas pour sauver les enfants d’Ossétie du Nord otages des terroristes islamistes tchétchènes? Pourquoi, d’une façon générale, n’utilise-t-elle pas son influence et son ascendant moral pour suggérer à ses relations terroristes de cesser leurs actions répugnantes. La réponse est claire : ces relations doivent servir ses intérêts et ses intérêts seulement. La France cultive ses amitiés arabes tous azimuts, jusque dans les bas-fonds de ces sociétés, pour préserver ses actifs pétroliers. L’angoisse d’avoir à revivre la crise du pétrole de 1973 étreint les gouvernements français. Si le gouvernement français s’est opposé à l’intervention militaire en Irak, après en avoir voté le principe au Conseil de sécurité de l’ONU, c’est qu’il fallait sauver les contrats entre l’Irak de Saddam Hussein et Elf-Total-Fina. Deuxième révélation : les foules arabes peuvent être mobilisées pour une bonne cause, celle de sauver la vie de deux êtres humains, guidées, dit-on, par les grands principes humanitaires. Ici aussi se pose une question embarrassante: pourquoi donc ces foules ne se mobilisent-elles pas pour dénoncer les attentats des groupes terroristes? Elles ont eu, hélas, de trop nombreuses occasions de le faire pour dénoncer les atrocités commises en Russie, en Tchétchénie, en Israël, en Espagne, à Bali, et à New York le 11 Septembre. Or, si ces foules manifestent quelque émotion après ces attentats, c’est leur joie. On vient de voir les enfants palestiniens gavés de friandises par les agents du Hamas, les amis de ce gouvernement français, fêtant avec des feux d’artifice la grande victoire des deux autobus israéliens, dans lesquels d’autres enfants avaient pris place pour se rendre à l’école. On se souvent aussi des réjouissances à travers le monde arabe après les attentats de New York. Cela n’empêche pas Tarek Ramadan d’affirmer qu’au nom de l’islam, tous les musulmans devraient manifester contre les attentats et kidnappings. On s’attend bien à ce qu’ils le fassent, même lorsqu’il s’agit de victimes autres que françaises. Troisième révélation : Le conseil des oulémas sunnites a émis son avis négatif sur l’enlèvement des journalistes français. Cela mérite d’être souligné car leur silence était effroyablement pesant après chaque attentat commis au nom de l’islam. Ces oulémas pensent que ce double enlèvement contrevient aux lois de leur religion. Faut-il donc comprendre que les autres attentats, ceux auxquels ils n’ont jamais réagi, n’y contrevenaient pas? Faut-il comprendre aussi que lorsqu’il ne s’agit pas de leurs amis français, ces terroristes islamistes peuvent trouver une justification théologique à leurs abominations? Sont-ce là les amis et alliés la France, que nous avions crue porteuse des valeurs universelles de fraternité et de logique. Quatrième révélation : elle a trait précisément à la « logique » implicite de ce gouvernement français. Michel Barnier, l’actuel ministre des affaires étrangères du gouvernement français a fait en effet appel à la logique des ravisseurs pour les prier de relâcher leurs otages. Oui, leur logique! Les mots « logique » et « raison » reviennent de façon lancinante dans son entrevue à la chaîne du Qatar, Al-Jazeera. Si la situation n’était pas tragique, on pourrait en rire. Car où était la « logique » des terroristes islamistes qui ont assassiné des ingénieurs français au Pakistan? Où était la logique des terroristes islamistes qui ont attaqué le pétrolier français Limbourg. Où était la logique des terroristes islamistes qui ont commis les attentats à répétition en France dans les années 90, dont celui de la rue de Rennes?
Cheikh Hamad Bin Jassem Al Thani, ministre des Affaires étrangères qatarien et Michel Barnier (Quai d'Orsay) le 18 Septembre 2004 La logique se réduit ici à ceci: Ce que M. Barnier sous-entend par logique et raison est aussi simple que cynique : ne maltraitez pas les otages français, nous sommes vos alliés. Inversement, dans cette « logique », on comprend mieux la totale indifférence de ce gouvernement français face à des victimes qui proviendraient de pays qui ne seraient pas des amis des arabes. Les grands principes auxquels se réfère ce gouvernement pour justifier sa politique étrangère sont de la poudre aux yeux. La France défend ses intérêts, avec tous ses moyens, même les moins avouables, même avec les alliés les plus abjects. Le maquillage idéologique fait partie des armes de commercialisation de sa politique. Mais, nombreux sont ceux qui ne s’y trompent plus. Les admirateurs italiens de Chirac qui le portaient aux nues pour ses positions contre la guerre d’Irak sont tombés de haut. Ils se demandent de bonne foi : À quoi donc a bien pu servir toute cette compromission de ce gouvernement avec les gouvernements et terroristes arabes si, finalement, les français sont traités comme les italiens! Ces italiens ont compris que la compromission servile ne paie pas. Je renonce à espérer que ce sera jamais le cas de ce gouvernement chiraquien. Cette affaire permet de comprendre pourquoi en Août 2003 le gouvernement chiraquien avait si activement protégé le Hamas et ses dirigeants, en empêchant que ceux-ci soient nommément inclus dans la liste des organisations terroristes. De même, une grande victoire de la diplomatie française a consisté à empêcher que le Hezbollah soit inclus dans cette liste. Le gouvernement de Jacques Chirac a ainsi accumulé des bons points, que maintenant il peut échanger contre les faveurs de ces organisations répugnantes. Cela n’empêchera sans doute pas ce gouvernement de continuer à jouer les donneurs de leçons de bonne conduite morale. Dans ce jeu de totale compromission, ce ne sont pas seulement les deux journalistes qui sont tenus en otages, c’est toute la politique étrangère française. La prochaine fois que nous entendrons Barnier, de Villepin ou les porte-parole de la politique étrangère de ce gouvernement, nous saurons à qui ils s’adressent vraiment et à qui ils veulent plaire. Ces enlèvements auront au moins servi à faire tomber les masques.
Titulaire de la Chaire de commerce Omer DeSerres, HEC Montréal, Jean-Charles Chebat a reçu le titre de chevalier de l’Ordre national du Québec récemment en reconnaissance de ses travaux dans le domaine de la consommation. Élu à la Société Royale du Canada en 1996, Prof. Chebat a, en 2003, reçu entre autres prix le prix Pierre-Laurin pour ses travaux de recherche effectués au cours des trois dernières années. |