Institute for Public Affairs of Montreal
Le fascisme de gauche à l'UQAM et ailleurs

Prof.Stephen Schecter
Le Devoir/Montréal 25.Janvier.2003  

Les étudiants en sociologie à l'UQAM sont en grève depuis une semaine. À en juger par leurs affiches, ils revendiquent, entre autres, que la moyenne d'étudiants par groupe-cours soit réduite à 30 et que l'université renonce à ce qu'ils nomment la rationalisation de ses opérations.

Ils font fi du fait que la moyenne réelle des groupes-cours se réduit souvent à moins de 30 étudiants après chaque mi-session, les étudiants semblant trouver qu'une demi-session est plus que suffisante pour capter ce que leurs professeurs ont à leur enseigner.

Ils font également fi de l'évidence suivante : si on réduit la moyenne cible, beaucoup plus d'étudiants auront des chargés de cours plutôt que des professeurs comme enseignants. Mais la gestion efficace et intelligente des ressources ne semble pas les préoccuper, car ceci fait partie de cette rationalisation qu'ils s'empressent de dénoncer, rationalisation qui fait partie, dans leur lecture hautement idéologique du monde dans lequel ils vivent, de la mondialisation qu'ils dénoncent avec la même vigueur.

Propos racistes

Il n'est alors pas surprenant qu'à mon arrivée devant ma classe, le jeudi 16 janvier dernier, j'aie été accueilli non seulement par une bande d'étudiants, y compris quelques-uns de mon cours, qui m'interdisaient l'accès à la salle de classe, mais aussi par des slogans scandés par ces mêmes militants étudiants, qui dépassaient le propre de leurs revendications au sujet de l'éducation pour toucher au conflit israélo-palestinien. Il a cependant été choquant d'entendre des propos racistes et antisémites adressés à mon endroit par des étudiants de sociologie de niveau universitaire, propos que je cite textuellement : «Israël, assassin, Schecter, complice !»

On peut certes se demander quel rapport il peut y avoir entre le conflit israélo-palestinien et la moyenne cible des groupes-cours à l'UQAM. Ça prend sans doute un sociologue chevronné comme moi pour expliquer au citoyen moyen de quelle façon, dans la tête de nos étudiants confus, la mondialisation tant décriée attrape tous les phénomènes sociaux dans son filet et les tord, de telle sorte que les efforts visant à bien gérer l'UQAM font partie du même complot des dirigeants israéliens en vue de trouver une solution de paix au Moyen-Orient et que tout cela fait partie du déficit démocratique occasionné par la libéralisation des marchés prônée par les Américains, le président Bush en tête.

Je dois avouer que même un sociologue comme moi éprouve de la difficulté à découvrir un brin de rationalité dans cette manière de penser, mais je dois tristement avouer que c'est ainsi que bon nombre de nos étudiants pensent. Ce qui est pire, c'est également ainsi que bon nombre de leurs professeurs pensent. La pomme, dit-on, ne tombe jamais loin de l'arbre.

Il est tout de même scandaleux que nos étudiants se sentent autorisés à scander des propos racistes et antisémites en toute impunité. J'ai été affolé non seulement d'entendre la situation difficile d'Israël mêlée à de stupides revendications sur l'enseignement supérieur au Québec mais aussi de me voir gratuitement accusé d'assassinat. Il aurait fallu voir les visages de ces étudiants momentanément transformés par la haine pour saisir l'ampleur et la gravité de cet incident.

Je me suis immédiatement rappelé tout ce que j'ai lu à propos des bandes de nazis en Allemagne dans les années 30. On concocte une idéologie selon laquelle les juifs sont fautifs, et ceci justifie leur élimination. Nos étudiants ne sont pas allés si loin cette fois-ci, mais en Allemagne, dans les années 30, tout a aussi commencé «en douceur».

Nos étudiants ont-ils une connaissance historique, politique et sociologique du conflit israélo-arabe pour être justifiés de qualifier Israël d'assassin ? Et au nom de quelle vérité sociologique m'ont-ils traité de complice, à part le fait que je suis juif, que j'exprime ma solidarité avec le peuple d'Israël et que j'écris de temps à autre des textes pour clarifier certains points au sujet de ce conflit ?

Est-ce maintenant un crime d'être juif et d'avancer une analyse de ce conflit qui ne blâme pas Israël ? Apparemment, oui, non seulement à l'UQAM mais aussi ailleurs. Ce qu'ont fait les étudiants de mon département n'est guère différent de ce qu'ont fait des universitaires de Paris VI, qui ont voté en faveur d'un boycottage des scientifiques israéliens en guise de protestation contre les politiques du gouvernement israélien. Il va sans dire que ce même conseil d'administration n'a rien dit sur les crimes contre l'humanité commis par l'Autorité palestinienne.

Démonisation

La démonisation d'Israël est aujourd'hui le visage contemporain de l'antisémitisme qui refuse à l'État juif son droit d'existence et de défense légitime et qui demeure obstinément aveugle sur le fait qu'Israël est la seule démocratie libérale au Moyen-Orient.

Cette démonisation est monnaie courante dans la classe intellectuelle en Occident, au Québec comme ailleurs, au département de sociologie de l'UQAM comme dans les autres départements de sciences humaines de l'UQAM et d'ailleurs. Si nos étudiants ne comprennent pas la gravité de ce qu'ils ont scandé le jeudi 16 janvier 2003 dans un couloir de l'UQAM, c'est parce qu'ils entendent ce genre de discours de la part de leurs professeurs, sans parler de ce qu'ils entendent et lisent de la part des classes politique et journalistique des sociétés occidentales.

Mais c'est surtout ce qui se passe en milieu universitaire qui me préoccupe. Primo, j'y travaille. Secundo, c'est là que l'on forme la génération montante. Tertio, les universités sont censées être des lieux de débat, de réflexion et d'analyse qui tentent de respecter le plus scrupuleusement possible les règles de la méthode scientifique, la quête de la véracité et l'intégrité personnelle. Hélas, bon nombre de professeurs en sciences humaines préfèrent simplement faire passer leurs idéologies pour de l'analyse scientifique. Ainsi, ils deviennent rien de moins que des idéologues, et on sait par expérience que cela mène au terrorisme et au racisme.

Je peux moi-même témoigner de l'idéologie qui prévaut dans mon milieu, idéologie à l'origine de ces slogans antisémites entendus de la bouche de nos étudiants. J'ai des collègues qui la prônent et, parce qu'ils y croient, ils tolèrent -- là où ils ne suscitent pas directement -- un discours raciste auquel ils demeurent tout aussi sourds que nos étudiants. Grosso modo, cet ensemble idéologique se résume ainsi. Le monde moderne se caractérise par la mondialisation. La mondialisation se résume à la libéralisation des marchés. Ceci n'est que la forme contemporaine de domination capitaliste, domination essentiellement américaine, et cette évolution de la société moderne est responsable de tous les maux de la planète, qu'il s'agisse des attaques terroristes contre des sociétés démocratiques, de la souffrance des Palestiniens ou de l'effet de serre.

Les méchants

Dans cet amalgame, les Américains sont les méchants. Toute société, toute personne favorable à l'Amérique et à la démocratie qu'elle incarne est à condamner, de la même façon que tout sociologue qui veut signaler que la démocratie est autre chose que la version laïque du paradis est vilipendé.

Pas surprenant alors que les étudiants de sociologie se sentent autorisés à me traiter de complice d'un Israël assassin. Ils puisent dans un discours ambiant qui est lui-même raciste car antioccidental, antidémocratique, antiaméricain et anti-israélien. Ce discours est aussi un discours fasciste; cependant, parce que ses tenants se considèrent de gauche, ils le jugent acceptable.

Pourtant, l'histoire nous enseigne qu'il y a également des fascistes de gauche. Elle nous enseigne aussi que c'est l'idéologie antisémite qui soude ensemble les fascistes de droite et les fascistes de gauche.

Cet amalgame semble gagner du terrain. Il est extrêmement dangereux. Ce qui commence comme une idée finit parfois par être exécuté. Avant sa prise du pouvoir, Hitler a prévenu les partis bourgeois au Parlement allemand que les nazis n'étaient pas comme eux. Ils ne l'ont pas cru. Ils pensaient le contrôler en le mettant au pouvoir. Ils auraient dû le prendre au sérieux. Moi, je prends au sérieux des propos similaires lorsque, 70 ans plus tard, je les entends dans mon université. Mais qui d'autre le fera, et comment ?